Pionnier du développement de l’escalade sur les falaises de Presles et de loin son équipeur le plus prolifique, nous laissons Bruno Fara s’exprimer sur l’histoire de cette grande épopée  (pour plus de détails « croustillants » sur l’ouverture de ses voies vous pouvez visiter : http://bfara.free.fr/Accueil/Presles/presles%20recapitulatif1.htm)

 

« En 1970 lorsque j’attaque mes premières ouvertures à Presles et dans les Préalpes, les coinceurs ne sont pas imaginés, les baudriers sont complets et rudimentaires, les dégaines n’existent pas, la corde à simple n’est pas de mise, la corde de rappel standard est de 60m, la cotation réservée à l’élite est le VI en chiffre romain (notre 6b actuel), rares sont les escalades qui se conçoivent sans un marteau et quelques pitons, équiper une voie par le haut même sur des falaises minuscules n’a été envisagé par personne, le spit auto forant est absent du catalogue…

 

   Dans l’histoire de l’escalade en Vercors, Presles a tenu une place à part. Il est juste d’écrire qu’elle fut dès le départ considérée comme marginale et non représentative des critères de qualité qui prévalaient sur les itinéraires de la barrière Est.

Entre le Mont Aiguille et Le Pic St Michel les faces dominant la vallée étaient considérées, comme de l’alpinisme à part entière… alors que Presles bascula dès le départ en falaise d’entraînement…

Par la force de plusieurs paramètres, un fossé sépare en effet le Vercors historique, d’une falaise comme Presles !

 

   Tout d’abord l’altitude modeste, environ 600m au pied de la falaise, permet de grimper même en hiver. Ensuite l’orientation, principalement sud, est beaucoup plus propice à l’escalade plaisir que les austères faces Est du Vercors.

   Mais le principal atout de Presles… celui qui sans aucun doute apporta la clef du succès, reste la stratification sédimentaire en couche superposées, restées dans cette falaise principalement horizontales… Juste le contraire du flanc Est où les couches se sont souvent relevées sous l’effet du plissement alpin.

   Cette stratification est bien visible, (la vire médiane est la marque d’une mer peu profonde) et elle a donné une érosion extrêmement propice à l’escalade libre. Or ce critère est, depuis une décennie, incontournable pour qu’une falaise soit appréciée des grimpeurs.

 

 

Pour faire un bilan historique d’une falaise il est préférable de chercher les périodes charnières.

 

A) Les PRECURSEURS !

    A Presles tout commence par une date : le 1er février 1953 ! Deux jeunes Lyonnais, POURTIER et TAILLEFER ayant repéré cette ligne facile lors d’un périple à Villard de Lans, ouvrent la voie des BUIS

 

Cette première ne propulse pas pour autant la falaise sur le devant de la scène… à cette époque tout se joue de l’autre côté, sur la barrière Est.

Là, entre le Mont Aiguille et le Gerbier, les meilleurs alpinistes de l’époque veulent marquer l’histoire, Presles ne leur semble pas digne d’intérêt et restera encore dans l’oubli pour 15 ans.

 

 

    Quelques dates jalonnent ces 15 années :

  • En 1966 deux lyonnais Bernard CONOD et Jean Paul CLERE réalisent les 16 et 17 mai une belle première pour l’époque … la voie CONOD CLERE.
  • En mai 1969 l’équipe Lyonnaise de François RUBIN, ouvre un gros challenge d’artif le TOIT DES LYONNAIS.
  • Le 1er novembre 1969 Georges NOMINE ouvre la voie des CHRYSANTHEMES plus connue sous le nom de voie Nominé.
  • En avril 1970, les grenoblois ouvrent la voie de LA GROTTE, qui restera longtemps la seule voie répétée.
  • En juin 1970, NOMINE fait découvrir à Bernard VARTANIAN, François HAMON et Y DEL BUFFALO le PILIER de CHORANCHE (note pour l'histoire ... Nomine n'était pas le leader "absolu" de cette cordée, comme le mythe lié à sa mort l'a construit).
  • Le 24 octobre 1971 Laloue et Marcel BIZE ouvrent le NID D’AIGLE.

   Au total 10 itinéraires en quinze ans !

   En comparant les ouvertures de cette époque sur le flanc Est du Vercors, on réalise bien que Presles intéressait peu les alpinistes des années soixantes…

Aucune cordée helvétique, (pourtant très actifs en Vercors), aucun chamoniard !

 

Une évidence ressort de cette chronologie, seuls les citadins des deux villes voisines, Lyon et Grenoble, fréquentaient la falaise.

 

B) Les STAKANOVISTES

  les Lyonnais de la bande à FARA contre les grenoblois de SOMBARDIER !

 

   Quand je débarque début 1973, il n'y a donc que 10 voies à Presles.

L'accès se fait depuis le hameau de la Ranconnière, petit groupe de maisons situées au-dessus de CHORANCHE, et personne n'imagine qu'un sentier sera un jour tracé jusqu'à la route de PRESLES.

 

Les rares grimpeurs (les cordées se comptent sur les doigts d'une main .... par trimestre), remontent ensuite plus ou moins à vue en direction du grand pilier qui deviendra l'année suivante le PILIER du SOUVENIR.

   Aucun sentier n'existe au pied de la falaise, ni en haut...Pour revivre aujourd'hui l'aventure d'une cordée sortant tard le soir d'une voie en 1974, il suffit de quitter les sentiers et de foncer droit dans la jungle de buis.

 

    Seule la voie de la Grotte et les Chrysanthèmes sont parfois gravies, mais ce sont des challenges redoutables pour l'époque. La cotation VI (environ le 6b), étant la plus prestigieuse et rarement donnée, le V+ soutenu de ces deux voies, effrayait les grimpeurs...

   Les voies du Toit des Lyonnais et du Pilier de Choranche en imposent plus encore, car ce sont des challenges d'artif!

Et quand nous réaliserons la 3ème ascension du pilier en 1975 ce sera au prix de 2 bivouacs.

 

    Les longueurs se pitonnent (relais compris), car seules quelques voies classiques du Vercors ouvertes par Serge Coupé présentent un équipement à demeure.

   Au pilier de Choranche nous n'avons pas trouvé plus de 10 pitons en place... C'est après notre passage que le grand dièdre est resté équipé car nous n'avons pas récupéré nos coins de bois.

 

   C’était une autre époque avec des valeurs ni meilleures ni pire que celles actuelles, mais tellement différente…

 

    Fin 1973 le virus de l'ouverture m'avait déjà contaminé, et quand le 17 novembre, au pied de la voie de la grotte, j'ai croisé la cordée DIAFERIA-REBUFFET, qui lourdement chargée partait pour terminer la voie des Pâturages... J'ai décrété que nous devions nous aussi avoir un projet plus grandiose qu'une répétition.

   En longeant la falaise avec Jean-Marcel CHAPUIS, nous avons vite repéré ce grand dièdre qui ne pouvait pas se rater... La Voie des BOUFFONS !

De cette époque date le bivouac situé entre IZNOGGOOD et HAAFNIOUF, qui nous hébergea, chaque samedi soir, durant presque 10 années.

 

    Ensuite ce fut le PILIER DU SOUVENIR… La voie du GRAND PILIER, (aujourd'hui disparue car remplacée par la voie BAL MASQUE), évitait le fil du pilier par la gauche. Nous décidâmes donc de tracer une ligne au cordeau, sans dévier d'un poil... quitte à forer les deux premières longueurs! Sur les traces illustres de Maestri et Hardding, la question d'éthique ne nous effleura même pas.

 

    J'avais en 1974 une admiration sans bornes pour les réalisations lourdes, fruits de la pugnacité de leur auteur. Le 1er septembre 1974 avec Jean-Marcel CHAPUIS, nous avons donc foré patiemment 14 trous de 8mm, avec un rudimentaire tamponnoir " maison ".Seul le départ échappa à notre ravage… le premier spit fut posé à l'aide de cales de bois, coincées entre les colonnettes.

Durant de nombreuses années, cette première plaquette posée à 4 mètres du sol intrigua les répétiteurs, qui durent soit se forcer à quelques pas de 6a soit récupérer la branche qui restait en permanence au départ. Actuellement un nouveau spit a surgi... posé par un inconnu.

    Forer des trous à la main est un exercice fastidieux, dont le souvenir a disparu depuis l'apparition des perceuses à accus. Cet effort entêté nous paraissait une composante du mérite qu’il fallait conjuguer avec le nombre des bivouacs passés en paroi.

 

La notion de niveau de difficulté était moins marquée (même en montagne), et le niveau d'un itinéraire se mesurait surtout par la volonté qu'il requérait, alliée à la capacité à souffrir.

 

    Cet entêtement pour équiper des voies à Presles ne déclina qu'en 1983, lorsque le souvenir de mes nombreux compagnons morts en montagne commença à peser un peu trop sur le moral… Jean-Marcel CHAPUIS (paralysé suite à une chute en Vercors), Daniel LACROIX surnommé JAVEL (mort à la descente du K2), Patrick DECORPS emporté en hivernale par une plaque à vent, Amine SEBAHI et Georges DURAND morts tous les deux en hivernale…

 

    Les Grenoblois avaient certes réussi l'un des plus beaux challenge de l'époque en ouvrant dans la paroi rouge la voie DEVIL'S HOOK… mais nous avions quant à nous réalisé 50 voies, toutes équipées à demeure, et en 10 ans la falaise était devenue un incontournable passage pour tout grimpeur!

 

Nous avions même donné une nouvelle impulsion en équipant les premières voies par le haut…

 

C) LES VOIES EQUIPEES PAR LE HAUT….

    Réalisée le 26 février 1980… la voie du PIRI marque une date, c'est la première voie équipée à Presles intégralement du haut.

 

    Nos voyages au Verdon nous ayant fait découvrir cette nouvelle "possibilité" … et j'insiste sur ce terme, car ce n'est pas par une éthique quelconque, que nous ne l'avions pas déjà fait … simplement nous n'en avions pas l'idée!

   Les cotations en libre ne furent pas données par nos soins, mais par Gérard FREIBURGER qui au début des années 1980 était un adepte de J.C.D (Droyer en clair).

    Comme J.P BOUVIER (Grenoblois à cette époque) et plus tard Eric ESCOFFIER, ils firent évoluer l'escalade libre à Presles.

   Au début nous étions critiques, mais c'est sans doute par cet exemple, que nous avons cessé de grimper en artif dans le cinq, et que par un entraînement et une vie plus saine nous avons tous pu atteindre un bon niveau en escalade.

 

De nombreuses voies allaient suivre et vraiment donner à Presles ses lettres de noblesse car en venant par le haut nous pouvions éviter les zones en rocher friable au profit des belles dalles sculptées…

 

En 1983 je quittais Presles en me disant que c'était pour toujours, pour me consacrer à l'escalade purement sportive.

Certes il y eut quelques années creuses mais nul n'est irremplaçable et un nouveau bienfaiteur de la falaise allait surgir… BBX!

 

D) LA GENERATION BBX (BRUNO BEATRIX)… et le rééquipement!

    Nos voies avaient été équipées sur spits de 8mm et avec de nombreux pitons, à la fin des années 1980 les grenoblois, sous l'impulsion de Alain REBREYEND, décident de reprendre toutes les classiques en les équipant aux normes actuelles (goujons de 10 puis 12mm),

   L'association VTNO étant garante de ce travail.

 

Mais surtout un jeune de Voiron Bruno BEATRIX se lance dans l'équipement du haut avec une énergie encore supérieure à la nôtre dans la décennie précédente…

   Un grand nombre des voies actuellement fréquentée sont de son cru et c'est sans doute grâce à lui que la réputation de Presles rejoint celle du Verdon.

 

E) LE NOUVEAU MILLENAIRE…

    En 1998 de passage à Presles pour répéter une voie de BBX, je regarde longuement le pilier de LA MEMOIRE DES ABSENTS… Il est toujours vierge et mon œil envisage une ligne pour un fracassant retour… j'hésite quelques semaines puis la décision est prise, je reprends du service à Presles!

   J’ai 50 ans, l'escalade sportive me lasse un peu, retrouver un monde plus serein m'apparaît soudain une évidence.

   Les voies de difficulté moindre vont donc s'enchaîner avec de nouveaux compagnons … Robert GAILLOT, Eric PONCET et Laurent CHAPPAZ…

BBX aussi semble s'assagir, sa griffe "équipement aéré!" est de moins en moins patente… nous vieillissons tous! »

                                                                                                                                    Bruno FARA

 

 

   Si Bruno ne les a pas cités, les années 80 voit aussi le passage d’autres ouvreurs, dont certains « sans étiquette » (entendez par là qu’il ne font ni partie de la bande des Lyonnais, ni de celle de Grenoblois) comme Pascal Tanquy (Corne D’Auroch…), Rémi Billon (Exodus, Cancer…), Alain Gariel  et Daniel Ray (Ying Yang et Bal masqué…), les frères Rémy (Pirates, Exo 7,…), JC Berrard (Médiocrité d’or,…) et d’autres encore.

 

   Les années 90 auront vu aussi l’investissement de plusieurs équipeurs que ce soit pour la grande phase de rééquipement des classiques ou pour l’équipement de nouvelles lignes :

   Bruno Arnaud (président de VTNO de 1999 à 2005), Yves Ghesquiers, Stéphane Girard (Bambou…), Alain Rebreyend (Intermède pour Carlos…), Jean-Marie Leroux (Diplopie, Saint Sylvestre…), Hervé Delacour (Flirte et Frôle…), … mais aussi des ouvreurs d’artif moderne (Retrospective ouvre le bal suivi des voies du cirque à droite de Télébus ou encore au centre de la Paroi Rouge).

 

De retour aux affaires, Bruno Fara équipera encore plusieurs classiques en ce début de millénaire : une bonne dizaine de lignes souvent très équipées dans le souci de proposer une escalade accessible et rassurante. La qualité et succès sont au rendez-vous !

 

D’autres équipeurs s’activent aussi à Presles sur cette période comme Bernard Gravier, le guide local désormais incontournable, qui continue jusqu’à aujourd’hui à défricher des itinéraires abordables (Voix d’Eliane, Léadine, La Rampe de Commères, Désirée,…), après avoir fait le grand écart en équipant la voie la plus facile de Presles (Bim Bam Boum) et la plus dure (Badaboum) !

 

Le duo Jean-Marc Clerc et Vincent  Meirieu nous gratifiera de très beaux itinéraires difficiles (Macaque, Lakukichu, Peter Punk,…) avec un souci permanent de qualité et de perfectionnisme : du cousu main pour notre plus grand plaisir !

 

Alain Pons quant à lui assurera le remaniement du secteur Digitibus où il rééquipe l’existant et ouvre de joli nouveaux itinéraires (Lili Belle, Spélunca, Bleu Outremer).

 

Le potentiel s’amenuisant les ouvertures se font plus rares désormais. Les zones qu’il reste à explorer sont les grands dévers où la qualité du rocher n’a d’égale que l’ambiance et la difficulté… peu démocratique donc !

   Ludovic Pin a ainsi ajouté une quinzaine de ligne dans cet esprit.

Reste aussi encore quelques voies faciles  à sortir de terre ou presque : avec motivation et acharnement on peut réussir à faire de beaux itinéraires très parcourus, comme en témoigne la dernière-née « Désirée »… avis aux amateurs !